Les pouvoirs de réincarnation acquis par Tom Cruise dans «Edge of Tomorrow» sont limités : après sa mort, il renaît de nouveau le même jour, au même endroit, entouré par les mêmes gaillards inconscients, obligé de surmonter les mêmes obstacles à maintes reprises pour arriver à ce qu’il doit faire mais que le film ne précise jamais vraiment. Sauver le monde, oui, mais les détails restent flous. On peut toutefois supposer sans trop se tromper que si Tom Cruise pouvait choisir son lieu de renaissance, il choisirait sans doute le milieu des années 80. Et le public serait tout à fait d’accord avec lui. Parce que l’une des grandes victoires de «Edge of Tomorrow» est sa capacité à nous rappeler le Tom Cruise qu’on aimait tant à cette époque. Le Tom Cruise qui s’en sortait toujours en étant drôle, excentrique, flagorneur et un peu crétin.
«Edge of Tomorrow» est plus qu’heureux de revenir au Tom Cruise que nous avons connu dans «Risky Business» et «Top Gun», en accédant à une sorte de provocation colossale qu’il peut, en tant que beau garçon charmeur, nous vendre comme du divertissement de haut niveau. Bien avant que «Rain Man» l’ait établi comme acteur de haut calibre et la décennie suivante, qui l’a lentement dépouillé de sa réputation. Dans la peau du soldat William Cage, Cruise maîtrise l’art d’en faire trop pour son rôle. Ses fanfaronnades sont infondées, son double discours est inefficace. Finalement, c’est ce sourire particulier de Tom Cruise (vous le connaissez) qui est utilisé pour atteindre l’objectif: mettre en lumière le niveau d’insolence que cet acteur peut atteindre. Mais cette version de Cruise pourrait s’écraser au point de devenir totalement détestable si «Edge of Tomorrow» n’était pas aussi disposé à se moquer également de son rôle de personnage hollywoodien classique dont il se vante.
Le sens de l’humour et la personnalité du film nous entraînent avec grâce à travers cette prémisse de science-fiction: Cage est plongé dans sa première expérience de guerre contre des extraterrestres envahisseurs, il est nargué et ostracisé par les autres soldats, tué presque immédiatement sur le champ de bataille et quelques moments plus tard, il retourne de nouveau vivant (un jour et demi plus tôt) à la base où tout a commencé. Ne vous demandez pas pourquoi — la logique du film comporte certains trous, mais vous ne devriez pas trop y penser. Ne vous posez pas de questions non plus sur les détails de la mission qu’il doit accomplir aux côtés d’une soldate sympathisante (Emily Blunt, qui se distingue comme héroïne de guerre impatiente) pour sauver la race humaine de l’assaut des extraterrestres. Le seul aspect auquel on devrait s’intéresser est le divertissement : Cage qui fait face à la confusion, à la terreur, à la monotonie, au traumatisme psychologique, aux dilemmes existentiels et à l’humour inhérent au fait de revivre encore et encore les mêmes journées et scènes indéfiniment, avec en plus une guerre contre des extraterrestres pour que les choses restent un peu bizarres.
Quand la nouveauté du concept et de tout l’éventail de ses avenues possibles se dissipe, nous sommes laissés avec un troisième acte beaucoup moins fascinant… Pas entièrement dépourvu de vie, mais qui n’a pas la couleur et l’énergie qu’injectait Cruise lors de ses premières incursions dans ces circonstances étranges. Le film échange son innovation initiale contre les éléments conventionnels des films d’action et de science-fiction, si bien qu’il ne devient jamais un film estival standard. Finalement, «Edge of Tomorrow» n’est pas si éloigné des normes actuelles, mais il fait tout de même quelques pas en avant. Et cela s’explique en bonne partie parce qu’il semble avoir compris ce que nous avions oublié depuis 1985 : la science-fiction peut être drôle, les films à succès peuvent être excentriques et Tom Cruise peut être, et devrait être, un acteur comique et un peu con.