En surface, le fait de présenter l’ère tumultueuse des droits civils à travers le drame personnel d’un Noir qui a servi de majordome à la Maison-Blanche peut sembler tiré par les cheveux. Transmettre des leçons d’histoire dans un emballage divertissant a toujours été un défi d’équilibre difficile à maintenir. Mais «The Butler», du réalisateur Lee Daniels, est un exemple de réalisation réservée, de scénario ciblé et d’interprétations réussies, pour le plus grand bien de l’image historique plus large, celle qui reste au-delà de la salle de cinéma.
Le corps et l’âme du film sont fermement ancrés entre les mains expérimentés de Forest Whitaker qui, dans la peau du personnage principal, Cecil Gaines, trouve l’équilibre entre la compassion, la fierté et la force, avec une touche de regret. Les autres personnages passent dans sa vie et laissent des marques durables sur lui-même et sur le drame du film. Oprah Winfrey dans la peau de Gloria Gaines, Terrence Howard qui incarne le voisin louche et coureur de jupons qui profite de la solitude de Gloria, ainsi que Cuba Gooding Jr. et Lenny Kravitz dans la peau des assistants de la Maison-Blanche, sont ceux qui se distinguent le plus par leur habileté à incarner leur rôle.
Même si on s’attend à ce que ces acteurs assument bien le rôle qui leur a été confié, le vrai délice vient du fait qu’il n’y a pas de faiblesses dans les rôles secondaires du film. La dynamique entre les frères de Cecil et Gloria offre de merveilleux moments de détente comique, parsemés à travers le drame tout juste assez pour rendre supportables les luttes de cette époque. Elijah Kelley est ravissant dans la peau du jeune Charlie, naïf et toujours prêt à faire plaisir à ses parents, tandis que David Oyelowo incarne Louis, un personnage ultra-vertueux qui ne rate pas une occasion de faire de la désobéissance civile pour les droits des Noirs (allant de la dénonciation des lois Jim Crow dans le Sud à la participation au parti politique des Black Panthers). Entretemps, les présidents — même s’ils sont incarnés par des acteurs de haut niveau comme Robin Williams (Eisenhower), John Cusack (Nixon), Liev Schreiber (LBJ), Alan Rickman (Reagan) et l’inoubliable Jane Fonda dans la peau de Nancy — ne restent jamais assez longtemps dans le drame pour nous distraire de l’intrigue centrale, soit un homme noir qui doit lutter contre l’apathie alors que la situation change autour de lui.
Aucun personnage ne jette une ombre sur celui de Cecil, qui renferme toute une série de thèmes allant de sa vie opprimante sur une ferme de coton quand il était enfant jusqu’à une révélation émanant d’un simple geste, lorsqu’il s’assied pendant un dîner formel au crépuscule de sa vie. C’est la lutte silencieuse d’un homme qui fait de son mieux pour survivre dans un monde tumultueux.
Le scénario est la colle qui permet à «The Butler» de fonctionner aussi soigneusement qu’il le fait. Écrit par Danny Strong, qui est aussi le scénariste derrière un autre drame politique — le film «Game Change» présenté sur HBO, qui raconte la campagne McCain-Palin à l’élection présidentielle de 2008 —, «The Butler» réussit à impliquer le spectateur dans l’histoire et à maintenir un rythme soutenu pendant les deux heures qu’il dure. Danny Strong a basé son scénario sur un article du «Washington Post» au sujet d’un Noir qui a servi de majordome pour huit présidents américains entre les années 1950 et 1980. Le scénariste a pris certaines libertés avec l’histoire afin de souligner les moments historiques et la tension liée au mouvement des droits civils au sein de cette famille qui avait des liens étroits avec la Maison-Blanche.
Après la récente décision de la Cour suprême des États-Unis d’invalider une partie de la loi sur le droit de vote (qui visait à protéger le vote des minorités, en particulier les Noirs), «The Butler» joue un rôle important en nous rappelant que l’égalité et le malaise entre les groupes ethniques et les classes sociales n’a pas été complètement éradiqué aujourd’hui, malgré l’élection d’un premier président noir. Nous avions besoin d’un film qui jette un regard sur les faits historiques passés et qui nous rappelle à quel point les États-Unis ont avancé, ainsi que le long chemin qui reste encore à parcourir. Le fait que «The Butler» réussisse à relever ce défi tout en restant divertissant est une combinaison que plusieurs apprécieront.