«Captain America: le soldat de l’hiver» est rempli — à ras bord — de toutes sortes de choses qui redéfinissent les genres, d’action en rafale, de tension sportive, d’idées hautement conceptuelles et d’une folie maniaque. Un chaos polygonal qui vise, et de façon impressionnante, à dépasser tous les héros Marvel au niveau des idées, déconstruisant chaque sujet traditionnel allant de la corruption au sein du gouvernement jusqu’aux ordinateurs qui parlent, en passant par quelques agents solitaires. Mais assez étonnamment, le moment qui reste le plus saisissant, même quelques semaines après avoir vu le film, sont les retrouvailles tranquilles avec Steve Rogers, qui fait gaiement son jogging autour du Washington Monument alors que le soleil se lève sur la capitale américaine.
La scène est filmé en hauteur, ce qui réduit Chris Evans à un être au faible pouls mais au moral élevé dont le corps n’a pas de forme, alors qu’il dépasse à répétition (mais avec politesse) à un autre coureur, le vétéran Sam Wilson (Anthony Mackie)... et c’est possiblement le moment où l’on se sent le plus près de Cap pendant tout le film.
«Le soldat de l’hiver» a beaucoup à se soucier quant à la livraison de son contenu. Il est sans doute difficile de développer une intrigue aussi ambitieuse et multilatérale que celle-ci, avec des thèmes aussi grandioses que l’étendue de la mentalité américaine — telle qu’elle est interprétée par Steve Rogers, élevé dans le bon vieux temps —, mais le film n’a pas la capacité d’humaniser sa distribution centrale. Cap n’est pas un personnage vide, mais ses batailles avec les pensées obscures du scepticisme contemporain ressemblent plus à une discussion socratique intrigante qu’à un arc émotionnel. La Veuve noire incarnée par Scarlett Johansson, un personnage qui donnait une touche de couleur et de saveur alors qu’elle se déplaçait autour de ses collègues Avengers, se distingue moins de ce point de vue cette fois-ci (dans ce qui se rapproche le plus d’un rôle vedette pour elle, quand même).
Falcon, un homme tout à fait ordinaire incarné par Anthony Mackie qui est poussé dans la calamité principalement par sa disposition à parler avec un collègue coureur — une aptitude peu commune, à vrai dire —, est moins problématique. Il n’a pas grand-chose à faire, mais il le fait suffisamment bien. Aussi dynamique qu’il aurait pu être, Mackie ne maximise pas son potentiel dans la peau de l’acolyte de Cap, soulignant son rôle d’accompagnant comique au lieu de contribuer pleinement comme un superhéros, voire un demi-superhéros. Nous aurions voulu en avoir plus de lui, car on sait combien il est amusant, mais c’est une dose rassasiante. Le public veut surtout en avoir plus de la Veuve noire, de Cap et, surtout, du vilain en titre.
Ces trous palpables transpercent un film qui réussit par ailleurs dans bien d’autres aspects. Malgré l’élégance que Joe Johnston avait donnée à la production de Spielberg en 2011, Anthony Russo et lui adoptent ici l’approche post-innocence. Ils n’ont pas peur de prendre une voie plus bizarre et sauvage, entraînant «Le soldat de l’hiver» dans des vallées jamais traversées auparavant dans la cinématographie des superhéros. Nous sommes reconnaissants envers cette inventivité — la participation de Robert Redford élégamment habillé en complet dans la peau d’un vilain dans le style de Tom Clancy, et le périple à travers les tunnels du monde de la corruption. Mais ce qu’on aime le plus, c’est le nouveau traitement donné à Nick Fury; cette fois, la franchise donne à Samuel L. Jackson son meilleur matériel jusqu’à maintenant, et de loin.
Considérant l’absence d’efforts faits par les superhéros, un duo qui dispose d’un grand potentiel mais qui a été relégué dans les avenues plus larges et les traits d’esprit faciles, il s’agit d’un thriller assez bon, mais pas d’un chef-d’œuvre extraordinaire de néo-superhéros… Et c’est justement ce à quoi on s’attend et ce qu’on espère de ce genre de film — à juste titre ou pas.