Il arrive parfois qu’un réalisateur s’entiche d’un acteur et qu’il fasse appel à lui pour toute une série de films consécutifs. Pensez à Martin Scorsese et Leonardo DiCaprio, Wes Anderson et Bill Murray, ou Sofia Coppola et Kirsten Dunst. C’est une sorte d’amourette professionnelle qui peut très bien servir un projet, mais qui peut aussi pousser ses protagonistes vers l’auto-indulgence. Même si ce n’est que la deuxième fois que le scénariste et réalisateur de «Killing Them Softly», Andrew Dominik, travaille avec Brad Pitt, on a l’impression qu’ils partagent une certaine camaraderie. Leur symbiose avait déjà joué en leur faveur en 2007 avec «The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford». Mais cette fois-ci, ils n’arrivent jamais vraiment à trouver le même rythme.
Bien entendu, «Killing Them Softly» a une cadence totalement différente de celle du western doré et méditatif ; il se caractérise par une violence stylisée et un humour noir hilarant. Après tout, le catalyseur de toute cette histoire est le plan d’action mal conçu d’un aspirant gangster surnommé Squirrel (Vincent Curatola), réalisé par un ex-condamné désespéré (Scoot McNairy) et un minable toxicomane australien (Ben Mendelsohn) qui vole et revend des chiens de race contre de l’argent comptant. Selon leurs calculs, leur plan visant à réaliser un braquage lors d’une partie de poker illégale est infaillible (enfin, c’est ce qu’ils pensent) : Markie (Ray Liotta), qui dirige la partie de poker en question, a avoué avoir déjà organisé un braquage du même genre par le passé. Ces imbéciles pensent que les participants de la partie de poker vont blâmer Markie de nouveau.
Malheureusement pour eux, Jackie Cogan (Brad Pitt) est appelé pour enquêter sur l’affaire. Son bilan est impeccable, ses lunettes sont cool et ses mains ne tremblent jamais. Sa technique est, bien sûr, de tuer «doucement» ses victimes à distance. «C’est tellement embarrassant» de les voir supplier, pleurer et perdre le contrôle de leurs fonctions physiques les plus élémentaires, dit-il à un intermédiaire incarné par Richard Jenkins. Il est tout aussi embarrassant de voir ses collègues perdre leur courage, comme Mickey (James Gandolfini), un gangster qu’il a appelé pour l’aider. Mickey est un ivrogne et un coureur de jupons qui se lance dans des platitudes euphoriques au sujet d’une prostituée qu’il a connue en Floride. Les scènes grossièrement drôles comme celle-ci, les problèmes scatologiques que l’on peut rencontrer lorsqu’on traverse le pays en voiture avec des chiots endormis et une explosion qui tourne mal ont plus de poids que la narration étrangement ampoulée, qui fait de petits arrêts pour que les personnages puissent se prélasser dans une somnolence de junkie avec la musique de Velvet Underground en arrière-plan.
Le climat politique changeant de l’époque sert de contraste maladroit à cette économie illégale. Au début, c’est intéressant et on se sent un peu doué de remarquer la télévision derrière qui diffuse un vieux clip de George W. Bush parlant de l’économie d’un ton monotone. Le temps passe, et Bush est remplacé par Obama (d’abord comme sénateur, ensuite comme président) à la télévision, mais rien ne change vraiment pour ces personnes ou leur situation. Au milieu du film, c’est évident, et à la fin, c’est écrasant – en particulier quand Jackie explique à l’avocat de Jenkins (et à nous) pourquoi le système est aussi pourri que les personnages. «Les États-Unis ne sont pas un pays, mais une entreprise. Alors payez-moi», dit-il au chauffeur de Jenkins, évoquant une célèbre réplique de Ray Liotta dans «Goodfellas».
Andrew Dominik a seulement fait trois films, mais c’est un scénariste et réalisateur formidable, qui a l’œil pour composer une distribution épatante. Il est possible qu’avec le passage du temps et après plusieurs visionnements, «Killing Them Softly» soit aussi bien considéré que «The Assassination of Jesse James» ou «Chopper», mais pour l’instant, il se présente plus comme une étude de personnages ou comme une exposition des talents de ses acteurs que comme une expérience générale.